Une minorité dans une minorité
Nancy (elle/iel/ellui/nous), collaboratrice IKEA, 48 ans
Pendant son enfance, Nancy, collaboratrice IKEA dont la famille vit en Malaisie, s’est sentie comme « une minorité au sein d’une minorité », dit-elle. De père indien et de mère chinoise, elle ne s’est jamais sentie parfaitement intégrée. Et le fait d’être gaie n’a pas aidé.
À l’école, les choses étaient difficiles en raison de caractéristiques ethniques différentes de celles de ses camarades de classe. Elle n’a jamais vraiment pu entrer dans une catégorie. Même parmi des personnes indiennes ou chinoises, elle ne se sentait pas acceptée du fait de son apparence différente. Quand les parents de Nancy se sont mariés, dans les années 1970, les unions mixtes étaient mal vues. Impossible donc de compter sur l’appui d’une famille élargie. Trouver une place à l’université, chose qui devrait être la plus simple du monde, s’est avéré être un problème malgré ses excellents résultats scolaires.
Finalement, Nancy est devenue éducatrice de jeunes enfants. « Vous imaginez, si les parents avaient su que j’étais gaie s’exclame-t-elle ? Ma carrière n’aurait pas duré longtemps. On se serait bien vite débarrassé de moi. J’ai donc dû compartimenter ma vie et être prudente. » Un mode de vie qu’elle a fini par ne plus supporter. Dans ce pays religieux, elle ne pouvait pas être elle-même. Elle savait qu’elle finirait par s’expatrier.
Sortir du placard
En plus d’être différente de son entourage d’un point de vue ethnique, Nancy a su très tôt qu’elle était gaie, alors qu’elle vivait encore en Malaisie. Pas de grand « coming-out » pour elle. Selon Nancy, sa culture nationale n’est pas propice aux grandes sorties du placard. Il n’y a rien d’officiel. Il s’agit de comprendre son identité et de l’accepter soi-même. Elle n’en a jamais vraiment parlé à ses parents, se contentant de s’afficher peu à peu avec des partenaires. En vieillissant, elle a eu de moins en moins peur de venir accompagnée à la maison pour les fêtes. Et si ses parents ne l’ont jamais exprimé verbalement, leur comportement lui semble démontrer qu’ils acceptent à leur manière sa sexualité.
Rencontrer l’amour
Nancy a rencontré May, sa partenaire, sur un site de rencontres. Il s’en est fallu de peu pour qu’elles ne se connaissent pas : Nancy était sur le point de se déconnecter quand, un beau jour, May a cliqué sur son profil. Leur amour est fait de respect mutuel et d’une profonde affection. Originaire de Thaïlande, May vivait en Grande-Bretagne depuis 35 ans. Quant à Nancy, bien qu’ayant passé entre temps six années à Singapour, elle était rentrée en Malaisie avant de faire la connaissance de May.
Après quelque temps, comme elles voulaient vivre ensemble, Nancy et May ont décidé que cette dernière viendrait s’installer en Malaisie. Mais au bout de trois mois, May n’a plus supporté de vivre dans ce pays si conservateur. Habituée depuis une vingtaine d’années à vivre ouvertement sa sexualité, elle ne voulait pas rentrer dans le placard. Elle ne supportait pas de ne pas pouvoir tenir Nancy par la main en public. Être homosexuelle dans un pays réactionnaire est devenu pour May un problème insurmontable. Elles ont donc changé leur fusil d’épaule, s’installant en Grande-Bretagne.
Haine et difficultés
De retour en Malaisie après être allée à Singapour, Nancy a été victime d’une violente agression. Elle et sa partenaire de l’époque étaient sorties un soir avec un groupe d’amis. À la sortie de la boîte de nuit, des hommes se sont attaqués à Nancy et à sa partenaire. « Je n’avais jamais été battue comme ça, dit-elle » Et pour ne rien arranger, ses amis, témoins de la scène, n’ont rien fait pour s’interposer. À Singapour, elle avait bien été confrontée à des actes de violence contre des personnes LGBT+. Mais là-bas, les amis se protégeaient mutuellement. En Malaisie, cela a été un choc de voir ses amis faire comme si de rien n’était, l’abandonnant à la colère d’inconnus. Elle l’a vécu comme une trahison pure et simple. Rétrospectivement, elle comprend le dilemme de ses amis : les relations homosexuelles sont strictement interdites en Malaisie. Ces amis étaient gais aussi, et le pays n’a pas de législation protégeant la communauté LGBT+ contre la discrimination et les agressions.
Gaie et fière de l’être chez IKEA
« IKEA est si important pour moi, dit Nancy. Je vis en Grande-Bretagne, je suis gaie, et j’en suis fière. Et je suis tellement heureuse de pouvoir être moi-même ici, au travail. » Avant d’entrer chez IKEA, elle a vite compris que chez ses employeurs précédents, malgré de très bons résultats professionnels, elle n’allait jamais présenter le profil voulu pour être promue. On ne jouait pas à égalité.
Entrée chez IKEA il y a dix ans, Nancy a vite gravi les échelons. Elle dirige actuellement une équipe des Services alimentaires IKEA. Le fait de diriger une équipe peut ne pas sembler particulièrement significatif, mais pour Nancy, c’est une question de représentation. Pour elle, personne LGBT+, le fait d’occuper un poste de responsabilité démontre l’engagement de IKEA. Lorsqu’elle doit embaucher pour sa propre équipe, elle veille à la diversité et à l’inclusion. Elle a ainsi constitué une équipe de personnes venues de tous les horizons. Son cheminement vers l’acceptation de soi l’a amenée à un genre d’activisme de l’acceptation d’autrui.
L’amour commence à la maison
Aujourd’hui, pour Nancy, l’amour à la maison prend une forme différente. Elle a pu se rendre compte qu’il fait son chemin de toutes sortes de manières. Quand elles sont en Malaisie, sa partenaire et elles ne se manifestent pas leur affection devant sa famille. Mais elle sait que leur relation ne pose pas problème. « Quand Maman a quelque chose à me reprocher, c’est à May qu’elle en parle en premier. Comme dans un couple ordinaire. »
Dans sa maison en Grande-Bretagne, avec May, Nancy peut respirer et être elle-même. Elle n’a aucun doute sur l’amour que lui porte May, qui lui a témoigné un soutien sans faille. Pendant un temps, May a occupé trois emplois à la fois pour permettre à Nancy d’atteindre les revenus exigés pour obtenir un visa britannique. Dans la rue, Nancy craint toujours le regard des autres. Mais chez elles, près de May, elle se sent parfaitement en sécurité avec l’« amour de sa vie ».

Ce que nous avons demandé à Nancy...
Que dirais-tu à une jeune personne anxieuse à l’idée de sortir du placard ?
Fais-toi des amis proches.
Que faire pour soutenir la communauté LGBT+ ?
Simplement écouter ce qu’on a à dire.
L’inclusion des personnes LGBT+
La maison peut être un lieu privilégié où cultiver sérénité, confiance en soi et sentiment d’appartenance – tout particulièrement pour les membres de la communauté LGBT+. Quand acceptation sociale et inclusion se traduisent par une réelle égalité des chances, indépendamment des sexualités et des identités, c’est le vivre-ensemble qui gagne.